Les poètes Français traduit en Hongrois. Linda et Tebinfea-Francia költök magyarra fordított

Français poètes. Francia költők.

samedi 14 septembre 2013

Le satyre (extrait)





Le satyre (extrait)


Le satyre un moment s’arrêta, respirant

Comme un homme levant son front hors d’un torrent ;

Un autre être semblait sous sa face apparaître ;

Les dieux s’étaient tournés, inquiets, vers le maître,

Et, pensifs, regardaient Jupiter stupéfait.


Il reprit :

« Sous le poids hideux qui l’étouffait,

» Le réel renaîtra, dompteur du mal immonde.

» Dieux, vous ne savez pas ce que c’est que le monde ;

» Dieux, vous avez vaincu, vous n’avez pas compris.

» Vous avez au-dessus de vous d’autres esprits,

» Qui, dans le feu, la nue, et l’onde et la bruine,

» Songent en attendant votre immense ruine.

» Mais qu’est-ce que cela me fait à moi qui suis

» La prunelle effarée au fond des vastes nuits !

» Dieux, il est d’autres sphinx que le vieux sphinx de Thèbe.

» Sachez ceci, tyrans de l’homme et de l’Érèbe,

» Dieux qui versez le sang, dieux dont on voit le fond :

» Nous nous sommes tous faits bandits sur ce grand mont

» Où la terre et le ciel semblent en équilibre,

» Mais vous pour être rois et moi pour être libre.

» Pendant que vous semez haine, fraude et trépas,

» Et que vous enjambez tout le crime en trois pas,

» Moi, je songe. Je suis l’œil fixe des cavernes.

» Je vois. Olympes bleus et ténébreux Avernes,

» Temples, charniers, forêts, cités, aigle, alcyon,

» Sont devant mon regard la même vision ;

» Les dieux, les fléaux, ceux d’à présent, ceux d’ensuite,

» Traversent ma lueur et sont la même fuite.

» Je suis témoin que tout disparaît. Quelqu’un est.

» Mais celui-là, jamais l’homme ne le connaît.

» L’humanité suppose, ébauche, essaye, approche ;

» Elle façonne un marbre, elle taille une roche,

» Et fait une statue, et dit : Ce sera lui.

» L’homme reste devant cette pierre ébloui ;

» Et tous les à-peu-près, quels qu’ils soient, ont des prêtres.

» Soyez les Immortels, faites ! broyez les êtres,

» Achevez ce vain tas de vivants palpitants,

» Régnez ; quand vous aurez, encore un peu de temps,

» Ensanglanté le ciel que la lumière azure,

» Quand vous aurez, vainqueurs, comblé votre mesure,

» C’est bien, tout sera dit, vous serez remplacés

» Par ce noir dieu final que l’homme appelle Assez !

» Car Delphe et Pise sont comme des chars qui roulent,

» Et les choses qu’on crut éternelles s’écroulent

» Avant qu’on ait le temps de compter jusqu’à vingt. »



Tout en parlant ainsi, le satyre devint

Démesuré ; plus grand d’abord que Polyphème,

Puis plus grand que Typhon qui hurle et qui blasphème,

Et qui heurte ses poings ainsi que des marteaux,

Puis plus grand que Titan, puis plus grand que l’Athos ;

L’espace immense entra dans cette forme noire ;

Et, comme le marin voit croître un promontoire,

Les dieux dressés voyaient grandir l’être effrayant ;

Sur son front blêmissait un étrange orient ;

Sa chevelure était une forêt ; des ondes,

Fleuves, lacs, ruisselaient de ses hanches profondes ;

Ses deux cornes semblaient le Caucase et l’Atlas ;

Les foudres l’entouraient avec de sourds éclats ;

Sur ses flancs palpitaient des prés et des campagnes,

Et ses difformités s’étaient faites montagnes ;

Les animaux qu’avaient attirés ses accords,

Daims et tigres, montaient tout le long de son corps ;

Des avrils tout en fleurs verdoyaient sur ses membres ;

Le pli de son aisselle abritait des décembres ;

Et des peuples errants demandaient leur chemin,

Perdus au carrefour des cinq doigts de sa main ;

Des aigles tournoyaient dans sa bouche béante ;

La lyre, devenue en le touchant géante,

Chantait, pleurait, grondait, tonnait, jetait des cris ;

Les ouragans étaient dans les sept cordes pris

Comme des moucherons dans de lugubres toiles ;

Sa poitrine terrible était pleine d’étoiles.



Il cria :



« L’avenir, tel que les cieux le font,

» C’est l’élargissement dans l’infini sans fond,

» C’est l’esprit pénétrant de toutes parts la chose !

» On mutile l’effet en limitant la cause ;

» Monde, tout le mal vient de la forme des dieux.

» On fait du ténébreux avec le radieux ;

» Pourquoi mettre au-dessus de l’Être, des fantômes ?

» Les clartés, les éthers ne sont pas des royaumes.

» Place au fourmillement éternel des cieux noirs,

» Des cieux bleus, des midis, des aurores, des soirs !

» Place à l’atome saint qui brule ou qui ruisselle !

» Place au rayonnement de l’âme universelle !

» Un roi c’est de la guerre, un dieu c’est de la nuit.

» Liberté, vie et foi, sur le dogme détruit !

» Partout une lumière et partout un génie !

» Amour ! tout s’entendra, tout étant l’harmonie !

» L’azur du ciel sera l’apaisement des loups.

» Place à Tout ! Je suis Pan ; Jupiter ! à genoux. »


Victor Hugo.

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